Février 2000, chez Pierre

RHÔNE

Château de Beaucastel blanc vieilles vignes 1997
Hermitage de Jaboulet "Chevalier de Sterimberg" 1992
Hermitage de Chapoutier "Chante Alouette" 1988
Crozes-Hermitage rouge de Jaboulet, domaine de Thalabert 1996
Crozes-Hermitage rouge de Jaboulet, domaine Raymond Roure, 1996
Côtes du Rhône villages, Château Saint Estève d'Uchaux 1995
Rasteau, cave du grand Jas 1992
Saint-Joseph, De Boisseyt, 1992
Hermitage de Jaboulet, "La Chapelle" 1991
Château de Beaucastel rouge 1990
Vendange d'octobre - Les vignerons ardéchois


Les iacchosalpins ont testé pour vous ... Les Côtes du Rhône


Comme on se l'était promis il y a un mois, on a organisé une nouvelle soirée de dégustation entre iacchossiens de Grenoble. Le rythme mensuel ayant l'air de faire l'unanimité, on s'est retrouvés hier soir, 17 février, chez Pierre et Susanne Payet-Burin, à Meylan, banlieue de Grenoble , à l'entrée de la vallée du Grésivaudan, du côté où il y a du soleil l'hiver. Le thème fixé était "Les côtes du Rhône", pour faire la différence avec la première dégustation ou le thème c'était qu'il y avait pas de thème. On s'est retrouvés à 9, les iacchosalpins Pierre (dit PPB), Alain (dit vendangeur tardif de Jacquère), Nicolas (dit Nigo ce qui est pas gentil mais c'est lui qui le dit), plus Michael (dit l'Anglais mais seulement quand il est pas là), plus moi (dit le malpoli avec les Rieslings), plus quatre pièces rapportées, Susanne (dite madame PPB dite "SousannEUH", pas bien français tout ça), madame Godelle (dite Anne-Eva, qui rigole quand on lui demande ce qu'elle pense d'un vin, c'est vexant...), plus Claude (dit le colleur d'affiches), plus Philippe (Cousin d'Alain, donc vaguement mon cousin aussi, troisième membre de notre triplette des tasteurs alpins, ex et de nouveau grenoblois comme quoi tu vois, Florent, c'est pas désespéré)

Remarques diverses et préliminaires :

- Évidemment on l'a encore fait à l'aveugle, le ridicule n'a pas tué la dernière fois alors on est vaccinés. Sur 10 CdR amenés sans concertation préalable, il y avait 3 blancs et 7 rouges. Serait-on un soupçon racistes ? genre "J'ai rien contre les blancs du rhône, tant qu'ils restent chez eux"
- Par rapport à la dernière réunion iacchosalpine, le nombre de femmes a progressé de 100 %, alors qu'il y avait seulement 16% d'hommes en plus. Qu'on vienne plus nous traiter de machos.
- Quand j'ai demandé qui s'y collait pour faire le compte-rendu cette fois-ci, on m'a regardé comme si j'avais demandé en quelle année on était. Finalement j'ai été désigné à l'unanimité moins une voix (la mienne). Y a certaines choses que j'aimerais pas trop que ça s'érige en tradition.
- Deux absents depuis la dernière réunion (M. et Mme Bavay, qui avaient imposé le thème "Rhône" avant de se défiler), et 4 nouveaux, mais un seul bizuth dans les iacchossiens (Nico, mais il est resté sage, poli, il n'a parlé que quand on l'interrogeait et il ne lui est rien arrivé de fâcheux)

Michael a ouvert les hostilités avec un blanc très gras, qui paraissait un peu trouble à l'ouverture mais le trouble a rapidement disparu dans le verre. La bouteille était très froide, ceci explique peut-être cela. Comme on cherchait tous des indices comme des malades on a remarqué que sous le papier alu, la bouteille avait une forme un peu différente des autres, plus bombée, et s'amincissant plus rapidement vers le col. Un super indice, malheureusement ça ne rappelait rien à personne. A l'ouverture le nez était franchement fermé, donc toujours pas d'indices. Philippe l'a trouvé court, je l'ai trouvé très boisé et cependant fin, ce qui m'a fait penser à un châto9 ayant fait un long séjour dans du chêne (en fait le boisé s'est vite atténué). Alain a dit reconnaître de la roussanne, et a donc placé ça dans l'Hermitage. Pierre a situé aussi ça dans le CdR nord. Nicolas a participé de façon constructive en nous signalant qu' à son avis ça n'était pas un muscadet. Dans le silence lourd qui s'est installé, il a précisé que déjà le rhône c'était pas sa spécialité mais alors le rhône blanc...
Anne Eva a rigolé franchement quand je lui ai demandé son opinion sur ce vin. Prenez ça comme vous voulez... Claude a courageusement sorti son joker. Michael a déchiré le papier alu... C'était un Beaucastel vieilles vignes 97. Qui contient bien de la roussanne, mais est cependant dans le châteauneuf. Un point pour moi, un demi pour Alain, pour la roussanne.

Ensuite a eu lieu une longue discussion entre Alain et Philippe qui avaient tous les 2 amené un blanc, pour savoir lequel ouvrir en premier. Le but du jeu était de recueillir un maximum d'indices sans en donner trop. Ils ont fini par se mettre d'accord sur la bouteille d'Alain. Une robe d'un bel or beau nez aussi, sur la pomme (j'ai trouvé aussi du miel, les autres sont pas d'accord mais c'est moi qui rédige le compte-rendu et ils vont le sentir passer ! Donc il était très miellé...). Au goût, Pierre et Claude ont trouvé un peu de surmaturité. Je le marque tel quel parce que j'ai aucune idée de ce qu'ils entendaient par là. Pour Michael, le vin était bien plus vieux que le précédent, et au nord. Un peu vague; on lui a demandé de préciser, histoire de le pousser à la faute, alors il a dit Hermitage. Philippe voyait ça plutôt dans le Châteauneuf. Les autres (dont moi) ont regardé ailleurs avec insistance quand on leur a demandé leur avis. On a déchiré le papier, verdict : Hermitage 92, Jaboulet, cuvée Chevalier de Sterimberg. Un bon point pour Michael.

On a ensuite attrapé la bouteille de philippe. Premier nez surprenant, pas vraiment agréable. J'ai dit "Alcooleux", Claude a parlé de térébenthine, Alain a dit "chimique". Heureusement ça a rapidement évolué vers un bouquet très complexe, sur l'amande amère et le cuir neuf, avec des notes florales et fruitées, genre poire bien mûre. Alain et Michael ont placé ça dans l'Hermitage, Nicolas et moi dans le Saint Joseph, Claude a ressorti son joker qui avait besoin de prendre l'air, et pierre a pris le risque maximum en plaçant ça dans le nord. Anne-Eva l'a trouvé plus jeune que le précédent, et Susanne n'a pas voulu donner d'avis. On a soulevé le papier journal pour découvrir un Hermitage de Chapoutier, Chante Alouette 88. Un autre point pour Michael

Nico et moi avons discuté pour savoir si sa bouteille ou la mienne allait ouvrir le bal pour les rouges. Je lui ai dit que la mienne était de 96, il a dit "alors on commence par la mienne, elle est plus jeune". Tricheur, va. On a donc servi sa bouteille, qui a surpris par sa robe rubis profond, presque noire, avec des touches violettes. La robe était opaque, le nez un peu alcooleux. Alain, Michael, Claude et Pierre ont placé ça sur la côte-rôtie, 97 pour les trois premiers, 96 pour Pierre. J'ai plutôt vu un Cornas 98, et Philippe, pour se démarquer, a placé ça dans le coteau du Tricastin, en 97. En fait c'était un Crozes-Hermitage 96 de Jaboulet, domaine de Thalabert. Sur 4 vins, déjà le deuxième Jaboulet. A combien allait-on finir ? Et en Chapoutier ? et du coup on a relancé le débat sur la biodynamie, avec Nico dans le rôle du détracteur, Alain dans le rôle du prosélyte et Claude dans le rôle de l'ésotérique qui compare les biodynamistes à Jean-Sébastien Bach, me demandez pas j'ai pas compris non plus. A mon avis c'était pour attirer l'attention sur l'affiche de son prochain concert.

Quand les esprits se sont calmés j'ai sorti ma bouteille. La robe était très proche de la bouteille précédente, ce qui fait qu'Alain a crié "même région" et "Syrah". Même région, voilà une remarque constructive, le thème était "Côtes du Rhône", je le rappelle. Philippe a renchéri sur la Syrah, et Michael aussi, en faisant remarquer qu'"il y en a toujours". Le nez était plus ample, plus puissant que celui de la bouteille précédente. En bouche il avait une pointe d'acidité supplémentaire. Alain a trouvé les arômes primaires, ce qui lui a fait penser à un 96 ou 97 d'un vin "avec au moins 50% de Syrah". Michael penchait plutôt pour un vin du sud, mais avec de la syrah. Philippe le trouvait très puissant, et penchait pour un châto9 96, en citant La Gardine, avant de se ranger à l'avis de Nicolas et Claude qui voyaient plutôt un côte-rôtie. Anne Eva l'a trouvé "lourd", et penchait pour un CdR nord de 95 ou même avant. Seul Pierre a tiré vers le bas en proposant le nord, mais dans une appellation mineure. Bien vu mais pas trop vague, je donne pas de bon point. Curieusement c'était aussi un Crozes de Jaboulet et de 96, mais ce coup-ci c'était le domaine Raymond Roure, dont on a parlé récemment sur iacchos.

Après ça on est passés à la bouteille d'Anne-Eva. Michael l'empoigne par le col, soulève et ... La bouteille reste sur la table, le papier journal qui l'enveloppait reste dans sa main. Comme on n'est pas des tricheurs, enfin pas tous, on évite de regarder mais on a tous vu au moins un mot avant que Michael ne remette le papier en place. Bref. Philippe et Claude trouvent le nez très fruité, ce qui provoque une réaction violente de Michael, qui manque s'étrangler (Il s'étouffera vraiment un peu plus tard, quand Alain proposera d'avoir une petite pensée pour notre iacchossien et néanmoins ami Marc, décommandé à la dernière minute par une péripétie Murphyesque dont il ne nous a pas donné les détails). Je trouve le vin très rond, avec des notes de chêne en fin de bouche. Alain trouve des arômes de bonbons, et Claude ne trouve pas d'arômes de pomme. C'est vrai, on peut aussi procéder par élimination. Je m'empresse d'ajouter qu'il n'a pas non plus d'arômes de caoutchouc. Alain et moi penchons pour un grand Gigondas, d'une grande année (Alain dit 95 et moi 90). Michael verrait bien 95, mais en Tricastin ou CdR villages. Claude commence par être d'accord avec moi sur 90, puis se ravise et propose un Crozes 95 (après 2 crozes, forcément, ça déforme le palais!). Philippe se rappelle d'avoir vu "Saint" sur l'étiquette, et propose un Saint-Joseph, ce qui est vilain de sa part. Pierre et Susanne s'abstiennent, ou alors c'est moi qui n'ai pas tendu l'oreille au bon moment. On dévoile la bouteille, pour découvrir un Côtes du Rhône villages, Château Saint Estève d'Uchaux 95. Bon point pour Michael.

La bouteille suivante, proposée par Claude, présente un nez soufré, une belle acidité, et une robe qui en dehors d'un début de vieillissement, ne raconte pas grand'chose. Le nez se développe rapidement. Je trouve des arômes de champignon de souche, et place ça à priori dans le châteauneuf. Michael trouve que "Ca sent la ferme!", et donne sa main à
couper que c'est un vin du sud. Philippe trouve des arômes de fruits noirs confits, et en déduit un Gigondas ou un Rasteau. Alain met ça dans le vaucluse pour le nez, et dans une petite appellation. Les autres ne mouftent pas, impatients de savoir si on coupe la main de Michael ou pas. On dévoile rapidement la bouteille : un Rasteau villages 92, cave du grand Jas. Michael gardera sa main pour l'instant (il la remettra plusieurs fois en jeu, mais l'intérêt des participants ne sera plus le même que la première fois). Un vin à base de mourvèdre, grenache et Syrah. Un bon point pour philippe ? Et un demi pour Alain ?

Le vin suivant, proposé également par Claude, surprend dès le début par son nez de poivrons, qui fait penser à du cabernet (de l'avis de Susanne, Alain, Michael, Philippe et moi-même). Diable, aurait-on essayé de nous piéger avec un médoc ? Mais en bouche, l'acidité et les saveurs animales (Alain) et épicées (Philippe, Nicolas et moi) ressemblent plus à un vin de la vallée du Rhône. Le col pas complètement caché montre un écusson qui fait dire Châteauneuf à Alain. Pour Philippe, c'est pas un châteauneuf, plutôt une petite appellation. Je penche pour un Costières de Nîmes, pierre pour un Gigondas 92 ou 93. Personne d'autre ne voulant s'avancer (même pas Michael, qui doit compter ses mains), on dévoile la bouteille : Un Saint-Joseph 92 de De Boisseyt, avec la mention curieuse "Vin vieux rouge de Syrah". Un vin non collé, non filtré, vieilli 3 ans en fût... Un piège, si vous voulez mon avis.

Le vin suivant, proposé par le maître de maison, Pierre, provoque des exclamations de la part d'Alain, Philippe et moi-même par son nez imposant. Des arômes de syrah qui me font penser à un Côte-rôtie d'une grande année, genre 90. En bouche, une belle rondeur sur des tanins très fins (Nicolas les trouve quand même astringents, sur les gencives), et une longueur impressionnante. Alain propose un Rayas, ou alors un grand châteauneuf atypique, genre Beaucastel. Michael est d'accord avec moi sur le côte-rôtie, mais pense plutôt à un 89. Alain et Claude penchent pour un 95 plutôt. Je tente de justifier mon choix de Côte-Rôtie à Philippe en disant qu'une qualité pareille, dans le rhône, ne peut se retrouver qu'en CR ou en CdP. Philippe ajoute "Et en Hermitage". Ah oui, pardon. Pas de bol pour moi, car c'était bien un Hermitage de Jaboulet, La Chapelle 91. C'est sur ce genre de bouteille qu'on est contents de l'avoir fait à l'aveugle. Sans ça, on aurait pas su si on appréciait vraiment le vin ou si on était impressionnés par l'étiquette.

Le dernier vin, amené par Alain, et carafé pendant 4 heures (il est minuit 1/2), présente un nez encore plus puissant que le vin précédent. Vraiment extraordinairement ample. Les arômes sont beaucoup plus animaux, de viande pour philippe, et même de faisandé pour Claude. Fruité en bouche, de l'avis de Michael et Philippe, et très tannique en fin de bouche. Visiblement un grand vin d'un grand millésime, encore trop jeune. Alain donne un indice à Philippe, en disant qu'il l'a amenée pour lui. Philippe dit "Beaucastel". Convaincu, j'ajoute "90". Alain essaie bien de nous faire partir sur une fausse piste en disant que c'est pas ça, mais on ne le croit pas. C'est vrai qu'il n'y avait pas 36 possibilités. Encore une bouteille qui mérite la légende qui l'entoure.

Pour terminer, on ouvre la bouteille de l'absent de service, Florent, qui a pris la bonne habitude de nous faire parvenir une bouteille à chaque soirée alors qu'il ne vient pas. Un exemple à suivre, ce Florent. Je trouve que les autres iacchossiens pourraient faire un effort. Si vous cherchez des idées de bouteilles à nous envoyer, je ne sais plus qui parlait de De Pez 66... Bref. Le vin de Florent a une robe jaune clair. un joli nez, floral. Susanne précise même "Fleur de pêcher". Si elle le dit. J'avoue que j'ai jamais senti une fleur de pêcher. Alain, surpris, dit "Tiens, c'est pas un chenin". En bouche, il y a du sucre, c'est sûr, mais pas beaucoup. D'après Philippe ça ressemble à un vin de pêche. Je propose un condrieu VT, pas parce que je propose ça à chaque fois (quoique), mais parce que le nez floral, le viognier, tout ça. Michael, qui trouve que ça manque de longueur, de matière, de terroir quoi (pouf pouf), propose "Fleur folle de novembre, après minuit". Plus sérieusement, il tombe d'accord avec moi, à contre-coeur, sur un condrieu VT. On enlève le papier alu : C'est un "Vendange d'octobre - Les vignerons ardéchois". Pas de millésime, ça tombe bien, personne n'en a proposé. On sait même pas ce que c'est, sur la contre-étiquette il y a marqué que c'est un "cépage blanc réputé". Florent, dis-le, que c'est du viognier...

En conclusion ?

- On manque d'imagination en dégustation. Pratiquement pour chaque vin, il y en a un qui a proposé un Châteauneuf. Y compris, heureusement, pour les deux Beaucastel.
- Les grands esprits se rencontrent. Sur 10 vins du rhône, 4 Jaboulet, 2 beaucastel. Un seul Chapoutier, et pas de Guigal. Tiens ?
- Décidément, Claude est un sacré cuisinier. Si la prochaine fois on répartit entre ceux qui amènent des bouteilles, et ceux qui amènent la bouffe, je sais qui je proposerai pour la bouffe.La soupe de Michael était super, et puis c'était original. Faudra aussi penser à lui.Et puis les sushi c'était une super idée (je sais pas qui a amené ça). En fait, la première soirée dégustation on avait pratiquement rien mangé (pourtant il y avait de quoi). On s'assagit.

François