Février 2001, chez Pierre

AUTOUR DU MONTRACHET

"Substance" brut de Jacques Selosse
Rimauresq blanc 1998
Chablis grand cru "Grenouille" de La Chablisienne 1993
Montrachet 1989 de Marc Colin
Bâtard-Montrachet 1989 de Leflaive
Chignin-Bergeron 1989 de Quénard
Coudoulet blanc de Beaucastel 1998
Château Simone 1990
Macvin de Berthet-Bondet


Montrachet au mont rachais, en iacchosalpie


Comme vous n'êtes pas sans ignorer, notre belle ville de Grenoble est construite à la base d'une montagne tellement ridicule (1046 m) qu'on en parle nulle part, sauf pour mentionner le fort qui est construit dessus (la bastille). Mais après de longues et pénibles recherches, mes camarades iacchosalpins et moi-même avons découvert avec stupéfaction le nom de cette pauvre montagne : le mont Rachais. Et il n'y a pas une seule vigne dessus, alors que je suis sûr qu'on pourrait vendre n'importe quelle piquette produite là-dessus à prix d'or aux étrangers, et qu'ils en redemanderaient.

Là-dessus, Michael nous annonce sournoisement qu'il peut toucher une bouteille de Montrachet 89 de Marc Colin au prix ridicule de m..x.c.wv..bCENT FRANCS (combien ? Parle plus fort j'ai pas entendu), et qu'on devrait se cotiser, si on s'y met à beaucoup ça sera pas si cher que ça... Je lui ai fait répéter le prix, et ensuite j'ai posé la première question qui me venait à l'esprit, à savoir "J'ai l'air dingue ?". Là-dessus, Pierre dit qu'il se sentirait bien de composer un repas autour d'un Montrachet... Diable, voilà qui change bien des choses. Les déshérites qui n'ont jamais goûté la cuisine de Pierre ne peuvent pas comprendre, qu'ils se consolent en disant que le royaume des cieux leur appartient probablement, ceci dit je suis pas sûr que ça soit à la hauteur.

On s'est donc retrouvés jeudi dernier, le 1er février, chez Pierre Payet-Burin, après quelques mises au point (déclenchées par Michael qui a eu peur à un moment qu'on passe la soirée autour d'une seule bouteille). Nous étions un peu plus que les cotisants du départ, ce qui fut compensé par le sacrifice d'une autre bouteille et une décision de tout comptabiliser et de diviser par le nombre de convives, ce qui est moins convivial mais pour une fois on ne va pas chipoter. Au passage, je dois sept francs à quelqu'un, qu'il se dénonce. Les bienheureux présent ce soir là étaient donc :
- Pierre (Payet-Burin), hôte et cuisinier. Créateur d'un homard à l'américaine qui était le plus beau jour de ma vie, pour paraphraser je ne sais plus qui. Sérieusement, c'était grand. S'il y avait eu un homard de trop, je pense qu'il y aurait eu des morts autour de la table.
- Susanne (Graf), vernie compagne du ci-devant ci-dessus. Comment elle a fait pour rester mince est un mystère.
- Alain (Drillat), auteur du seul monstre de savoie répertorié à ce jour, avec trente grammes de sucre résiduel, on a les monstres qu'on peut. Ça goûte un peu sucré quand-même.
- Eric (Lewin), transfuge des soirées parisiennes. Pas prévu au départ (la bouteille a été achetée avant qu'il arrive à Grenoble), il s'est enchaîné à la porte de Pierre, qui a trop bon coeur. D'un autre côté, sans lui il y aurait eu un demi homard de trop.
- Marc (Bavay), l'homme qui trahirait si on était en guerre contre le Jura. Ou contre la Corse. Ah. Il a dû trahir alors.
- Corinne, épouse du précédent. Mais moins catégorique dans ses goûts. Et quand elle est là Marc ne casse pas trop de portes alors viens plus souvent, Corinne.
- Bichael (Lyons), un irlandais avec un accent bizarre, gui le fait barler gomme ça. Faut dire que le régime alimentaire des irlandais est principalement composé de chou bouilli et de patates, bouillies elles aussi. Ils mangent jamais de légumes crus, parce comme disait Shane McGowan du temps ou il avait des dents, "c'est un coup à attraper des vitamines".
- Philippe (Bourgeois), qui parle pas plus que les autres (et évidemment pas plus que Michael) mais il est à côté de moi alors j'entends tout.
- Et moi, qui parlerais plutôt moins que les autres, mais j'en invente plein au moment de faire le CR.

Pour ne pas commencer tout de suite par les grands vins, on a ouvert une bouteille de Michael, je veux dire Bichael.
En fait, je pensais amener un Chablis pour tester un mauvais Chardonnay avant les Montrachet et consorts, mais Bike a suggéré qu'il y avait pire qu'un Chablis : Un Champagne blanc de blancs. Tiens, je crois qu'il doit dîner avec F6B bientôt. Je serais Francis, je me sentirais visé. On a donc goûté à l'aveugle les bulles de Bichael. Sur une recette de langoustines + saumon obligeamment fournie par PatChaz. Bichael en avait préparé une quantité risible, qu'il est arrivé à partager entre tous les convives. Équitablement, sauf dans le cas d'Alain qui en avait moins que les autres, mais Alain a senti la préparation et a déclaré que ça irait. Mais revenons au vin. En fait, un nez pas désagréable, sauf pour ceux qui ont mis leur nez dans le verre sans réaliser que c'était du Champagne. Un vin assez puissant, Philippe a même dit qu'"on dirait presque du vin". Marc trouve des points communs avec un chardonnay du Jura, ce qui est un compliment, ne vous y trompez pas, faut connaître Marc. Michael dévoile son Champomy, un "Substance" brut de Jacques Selosse. Élevé suivant le système "Solera", pour ceux à qui ça dit quelque chose. Philippe a commencé à m'expliquer une histoire de tonneaux empilés, un peu à la manière d'un organigramme de grande société, les tonneaux en haut se vidant sur (ou dans) ceux placés en dessous. En tous cas ça fait du Champagne franchement buvable.

Là-dessus, Eric nous sert son vin, à l'aveugle. Une robe très claire, et peu de vivacité. Philippe appelle ça "rond", moi "plat". Mais on est d'accord tous les deux pour placer ça dans le Rhône, St Joseph pour Philippe et Ventoux pour moi. Marc propose un vieux muscadet. En fait c'est un Rimauresq 98, constitué d'après Eric à 90 % de Rolle, qui est un cépage pour les plus ignares d'entre vous, et à 10 % (j'ai suggéré : d'alcool) d'autre chose, genre marsanne.

Eric sort son deuxième blanc, qui a un nez intéressant. Très minéral, un côté pétrolé qui nous le fait mettre, Marc et moi, en Riesling. Beau nez en tous cas. La robe est tout sauf vert étincelant, ce qui aurait dû me mettre sur la voie. C'est bien un Chablis, Eric était un peu énervé d'avoir raté la dernière soirée. Mais pas n'importe quel Chablis, celui que j'espérais goûter à ladite soirée : un grand cru "Grenouille" de La Chablisienne.

Je précise que les deux derniers vins sont dégustés sur des huîtres que j'ai amenées. Achetées à Carouf (bê oui, je sais, mais on est à grenoble. Vous connaissez la cause du crétinisme des alpes ? une carence en iode. C'est vous dire si on croule sous les poissonniers), ou elles devaient tremper dans de l'eau déminéralisée vaguement salée depuis noël si j'en juge à la solidité de leur coquille, et à la puissance de leur goût. Je dis ça pour faire de la pub à Carrefour, vous pensez bien. Slogan pour les huîtres Carrefour : Niquez-vous les doigts et bouffez de l'eau !

Nonobstant cela, le grand moment était arrivé, le fumet envahissant qui provenait de la cuisine avait commencé à nous rendre nerveux. Pierre amène alors, outre une soupière qui semblait promettre la vie éternelle, deux bouteilles camouflées. Il s'agissait de reconnaître le Montrachet 1989 de Marc Colin du Bâtard-Montrachet 1989 de Leflaive, à l'aveugle ! Donc, deux verres (JPL) pour chacun, avec un vin or pâle à gauche, et un plus clair, disons paille, à droite. Le nez de gauche était plus évolué, plus de vivacité à droite. Alain trouve le gauche un peu fermé et Philippe pousse des gémissements de pucelle qui cesse de l'être en goûtant celui de droite. En tous cas, les deux ont une longueur terrible. Pour moi, le Bâtard de Leflaive est à droite, Michael est d'accord avec cette fine analyse bien étayée par de solides arguments que j'ai oublié d'avancer. Philippe fait une remarque intéressante : Le gauche est écrasé par le plat alors que l'accord avec le droite, c'est la plénitude...

Nom de gü ! J'ai oublié de parler du plat ! Faut dire, j'ai pas les mots qui pourraient décrire. C'était pas grand, c'était énorme. Que dis-je, énorme, c'était PatChazien. Une saveur qui vous emplissait la bouche, et qui faisait se tortiller de plaisir jusqu'à la dernière papille, celle du fond qui fait toujours la gueule d'habitude. La recette est un peu barbare (il faut couper en deux dans le sens de la longueur un homard vivant, en évitant honteusement le regard de doux reproche qu'il vous adresse à ce moment-là), mais ça vaut vraiment le coup. Qui penserait que des saveurs pareilles puissent sortir d'un animal aussi moche ? On est allés récupérer la soupière dans la cuisine pour la saucer, plaisir que Pierre se réservait probablement, et ça a presque dégénéré en baston


générale. Mais j'ai pu tremper TROIS morceaux de pain, pensez ! Ah oui, le vin. Donc, le Montrachet était à gauche. Y reste du homard ?

La suite : qu'est-ce que vous voulez amener après ça ? Philippe a choisi de placer la barre très bas, pour donner une chance aux vins suivants. Il nous a donc servi un gaz avec un peu de vin résiduel. Un peu plus que perlant, mais pas tout à fait pétillant. Au nez ça fait la même chose que plonger son nez dans un verre de champ', donc ceux qui n'avaient pas commis l'erreur sur les bulles de Bichael s'en sont quand-même pris plein les narines. Philippe nous précise que le niveau était bas dans la bouteille. J'ai pas osé dire que hors de la bouteille, le niveau était pas très élevé non plus. Bref, la désapprobation est générale. Philippe nous dévoile son Chignin-Bergeron 89 de Quénard. En principe ce qui se fait de mieux en blanc de Savoie, mais la bouteille a visiblement eu un problème. Achetée aux enchères, c'est visiblement la loterie. Un détail : à la même vente aux enchères une bouteille de la Chapelle 61 est partie à 16.000 francs et des brouettes. Si la bouteille a été conservée dans les mêmes conditions, il y en a un qui n'est pas près de
casser à nouveau sa tirelire.

Philippe doutait tellement de son Chignin-Bergeron qu'il avait amené une autre bouteille. Alain se demande s'il s'agirait encore d'un Savoie. Le vin est très aromatique, avec peut-être un manque d'acidité qui pourrait en effet indiquer un Bergeron. Philippe, pour nous remettre sur les rails, annonce "Rhône". Alain rétorque que ça doit être "Un bon rhône, alors, pour ressembler à un Savoie". Je lui laisse l'entière responsabilité de ses propos et me désolidarise complètement. Marc, après avoir vu l'étiquette, nous donne hypocritement ses impressions, comme quoi il a un "nez fleuri". Ben dis donc, il s'est pas foulé. Après avoir vu l'étiquette j'aurais pu faire plein de commentaires avisés et plus précis que ça. Philippe révèle son Coudoulet de Beaucastel 98. Bichael est surpris, n'ayant pas senti de Viognier, mais comme il dit, "c'est vrai que je suis assez bouché". Là encore, je lui laisse la responsabilité de ses propos, mais ce coup-ci je vais pas me désolidariser. Bichael demande si Bourboulenc se prononce comme Rhône-Poulenc, je vois pas pourquoi il voudrait prononcer Rhône-Poulenc.

Au fait, je vous ai parlé du homard à l'américaine ? ah oui, dommage. Comme disent "the stupids", ce homard, s'il avait eu des seins je l'aurais épousé.

On se demandait depuis le début ce que faisait cette carafe de rouge sur la table, on pensait qu'elle était pour la déco. En fait, elle était pour Alain qui n'envisageait pas une soirée avec que du blanc. Sympa, il nous a permis de goûter de sa bouteille. Une robe sombre, évoluée. Philippe trouve le nez "très évolué". Eric déclare sans ambages ce vin le "meilleur rouge de la soirée", avant d'avoir goûté ce qui est fort. Marc place ça en Bourgogne, genre Gevrey. Je suis pas d'accord parce que j'aime assez ce vin, par contre je ne sais pas où le placer. Ma première impression au nez étant loin du Bourgogne, plutôt du côté de Bordeaux, j'annonce ça. Pierre le trouve un peu trop tannique à son goût. En fait,
les idées sont dans cet ordre parce qu'Alain fait un tour de table des impressions. Le troisième à être interrogé es Philippe, qui dit "bof, Château Simone ?" ce qui coupe les jambes à Alain. Alain a quand-même la force de demander le millésime, à quoi Philippe répond "bof, 10 ans ?". Une fois qu'on a ranimé Alain, on a réalisé que philippe s'était en fait lourdement planté, c'est un Château Simone 90.

On finit sur un liquoreux amené par Marc. Nez de chêne et d'alcool, assez violent, qui sent son muté à plein nez. Philippe trouve des arômes de marc. En bouche, c'est fruité et un peu oxydé, mais dominé par l'alcool encore une fois. Une discussion s'ensuit qui ennuie fortement les mouches, savoir si le terme muté se rapporte uniquement aux vins mutés à l'alcool neutre. La bouteille est camouflée sous une avalanche de papier, ce qui aurait dû nous faire penser que la forme de la bouteille était peut-être révélatrice. Marc la déshabille, pour révéler une bouteille plus large du haut que du bas, avec un goulot assez long. Un vin du Jura, plus précisément un Macvin de Berthet-Bondet. S'il y avait un millésime, je l'ai raté.

Sur cette dernière bouteille, on s'est sagement rentrés. On progresse. Neuf bouteilles pour neuf personnes, je crois que c'est la première fois qu'on se tient à cette résolution. Par contre mon CR est toujours aussi long. Mais c'est peut-être le dernier que je rédige pour les iacchosalpins (je change de boulot et vais peut-être partir à Montpellier), alors on va pas chipoter. Salutations à tous depuis le mont Rachais, et merci à ceux qui ont lu jusque là.


François.